Les fers de prisonnier de la chapelle Sainte-Anne de Saint-Tropez racontent une extraordinaire aventure humaine

Juin 2017 • par Gérard ROCCHIA, historien local

Chronique historiqueHistoire locale

Combien de Tropéziens, de bravadeurs ou de visiteurs, en pénétrant dans la chapelle Sainte-Anne de Saint-Tropez, ont posé un regard distrait sur ces morceaux de fers tordus, reliés par une solide chaîne, et pendus là depuis si longtemps que leur histoire s’est effacée de la mémoire collective ? Seule une plaque en marbre gravée et signée aurait pu éveiller leur curiosité et surtout leur révéler l’extraordinaire aventure que ces reliques, devenues ex-voto, ont à raconter.

« Joseph Lazare Siméon Prat apprenti-marin, naufragé du brick le Silène, fait prisonnier par les barbaresques le 14 mai 1830, a déposé ici les fers de sa captivité le 4 septembre 1830. Reconnaissant envers sa protectrice. Après 34 ans passés dans les pays lointains, Siméon Prat, capitaine de gendarmerie, chevalier de la Légion d’honneur, de Saint-Sylvestre de Rome et de l’Éperon d’or1, commissaire des chemins de fer, est venu renouveler ses actions de grâces à Sainte-Anne le 25 septembre 1863. Prat né le 19 mars 1808 à Solliès-Pont. Var ». Avec cette gravure une partie du voile est levée.

Du naufrage au bagne d’Alger
Siméon Prat a 22 ans lorsqu’il officie en qualité d’apprenti-marin sur le brick « Le Silène », placé sous les ordres du lieutenant de vaisseau Bruat. Ce navire, armé de 16 canons, a pour mission de surveiller et de bloquer, avec un brick identique baptisé « L’Aventure », une portion de rivage dans les environs d’Alger.
Une effroyable tempête fait échouer les deux bâtiments ; et les hommes doivent évacuer en urgence les deux épaves. Ils sont sauvés des eaux, mais pas des risques que font planer les tribus berbères. Alors que les officiers décident de partir vers Alger, les survivants sont rapidement encerclés par des hommes armés et menaçants qui les dépouillent des rares trésors qu’ils ont pu sauver du désastre et les conduisent vers leur village. Les deux cents prisonniers vont très vite comprendre que leur salut risque d’être de courte durée.
Séparés, cantonnés dans des baraques insalubres, maltraités, ils subissent les premiers massacres, dont moins de la moitié en réchappera. De plus en plus menaçants et excités, leurs geôliers commencent à égorger et à décapiter les prisonniers avec une férocité incroyable. Certains vendent chèrement leur peau, d’autres s’enfuient mais, rattrapés par leurs poursuivants, sont massacrés sur place. Les survivants, terrifiés et incrédules, attendent leur tour. Heureusement, se présente un officier turc qui les emmène à Alger. Arrivés dans la « ville blanche », ils sont conduits au palais du Dey et, à leur stupeur générale, ils découvrent, posés sur les murs d’enceinte, des centaines de têtes, dont celles de leurs camarades ; certains s’évanouissent. C’est dans les geôles du bagne d’Alger qu’ils vont attendre, dans des conditions d’hygiène déplorables, leur délivrance le 5 juillet 1830. Le Dey a capitulé la veille et livré Alger aux troupes françaises après plus d’un mois de combats incessants.
Le 6 juillet 1830, les 82 survivants du double naufrage quittent Alger pour Toulon, qu’ils rejoignent le 13 juillet. On sait que le 4 septembre 1830, Siméon Prat est à Saint-Tropez pour déposer ses fers de prisonniers en remerciement à Sainte-Anne.

Premier gendarme tahitien
On retrouve Siméon Prat le 9 mai 1843 sur la frégate « Uranie », commandée par le capitaine de vaisseau Bruat, nommé « gouverneur des Marquises et commissaire du protectorat à Tahiti ». Que vient faire notre varois dans cette galère ? Il est fort probable que les deux hommes, ayant partagé les moments les plus dramatiques de leur vie, ne se sont pas quittés de vue et que Prat a répondu à l’appel de Bruat. Il faut dire qu’entre-temps, Siméon est devenu maréchal des logis à la Garde municipale de Paris, laquelle a été rattachée à la gendarmerie en 1830. Il embarque avec le titre « d’officier judiciaire » et devient le premier « Mutoi Farani », autrement dit, le premier gendarme tahitien2.
L’île est en plein désordre depuis que le pasteur protestant anglais, Georges Pritchard, anti catholique viscéral et conseiller de la reine Pomare IV, a lancé une croisade pour faire expulser les missionnaires catholiques de l’ordre des religieux des Sacrés-Cœurs de Picpus qui tentent d’évangéliser les tahitiens. Les Français expulsent Pritchard mais les Tahitiens entrent en rébellion. Cette situation engendre une crise diplomatique entre la France et le Royaume-Unis, dont Prat fait les frais. Envoyé quelque temps comme gendarme aux îles Marquises, il revient assez rapidement à Papeete comme commissaire de police et vérificateur des poids et mesures. Le 1er mai 1849, il est promu sous-lieutenant, nommé chevalier de la Légion d’honneur, puis affecté à Saint-Pierre en Martinique où Bruat3 le retrouve peu de temps après en qualité de gouverneur général des Antilles.
Le 30 décembre 1857, il accède au grade de capitaine, commandant la compagnie de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, où peu après il demande son admission à la retraite4. Rendu à la vie civile, il devient commissaire de surveillance administrative des chemins de fer et cesse toute activité à l’âge de 67 ans5.
Toujours très attaché à son histoire algérienne, il revient à nouveau à la chapelle Sainte-Anne le 25 septembre 1863 pour renouveler son action de grâce et déposer au-dessus de ses fers la plaque commémorative qui nous permet aujourd’hui de retracer cette vie d’aventures hors du commun.
En octobre 1888, il a alors 80 ans, il est domicilié au 24 rue de la République à Toulon.

SOURCES :
(1) Décoration pontificale qui récompense les personnes qui se sont particulièrement distinguées par des services rendus aux Lettres, aux Sciences, aux Arts ou qui se sont fait remarquer dans leurs fonctions civils ou militaires.
(2) Aujourd’hui, les deux casernes de gendarmerie de Papeete portent le nom de Bruat et de Prat.
(3) Une statue à la mémoire d’Armand Joseph Bruat, conçue par Bartholdi, a été inaugurée dans sa ville natale de Colmar en 1865.
(4) Dossier de capitaine Joseph Lazare Siméon Prat, cote 4YF 24282, Service historique de la Défense, Vincennes.
(5) Dossier F/14/28, Ministère des travaux publics, Centre historique des archives nationales, Paris.
– Monsieur Yves Prat, à l’origine de nombreuses recherches sur son homonyme.

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