La fête de la Saint-Jean à La Garde-Freinet avant le XXe siècle

Juin 2022 • par Paul PREIRE - Paul de La Gàrdi

Chronique historiqueHistoire locale

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Nous vous proposons un article écrit par Paul PREIRE en deux versions : la première en français et la deuxième en provençal.
Bonne lecture !

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La fête de la Saint-Jean était célébrée comme dans toutes les régions le 24 juin. Elle marquait le solstice d’été et la fin des moissons. On l’appelait : « Fèsto dóu grand Sant-Jan » ou du « Jan lou meissounié » ou encore « Jan d’estiéu (été) », qu’il ne fallait surtout pas confondre avec « Lou Sant-Jan d’ivèr » du 27 décembre (Saint-Jean l’Apôtre).
En fait, le 24 juin était tout simplement le jour de la fête de Saint-Jean-Baptiste, inscrit dans le calendrier liturgique. Comme dans tout l’ensemble de la Provence, cette fête donnait lieu à de nombreuses célébrations traditionnelles, avec toutefois des variantes plus ou moins spécifiques suivant les lieux. Avec certains renseignements que j’ai pu glaner durant ma prime jeunesse auprès de personnes très âgées, j’ai retenu qu’une tradition (peu louable) était perpétrée dans notre village au cours des fêtes de Saint-Jean. Ce jour-là, un bastidan1 désigné ou volontaire devait présenter le plus beau coq de sa basse-cour. Le pauvre animal était en quelque sorte donné en offrande… à qui ? Il est difficile de le dire aujourd’hui, du fait qu’en ces temps ancestraux, les croyances s’avéraient assez complexes dans les communautés rurales où l’instruction publique n’était pas forcément généralisée. La foi de nos anciens étaient souvent fondée sur un amalgame de religion chrétienne et de superstitions. Ainsi, il est possible que cette tradition ait pris sa source aux temps du pagano-christianisme.
Le coq était transporté jusqu’à l’aire de dépiquage sur une charrette décorée de gerbes de blé, de feuillage et de fleurs (appelée en Provence « la caretto ramado »). Celle-ci était précédée de musiciens et de villageois faisant « fouaço estrambord »2. Arrivé sur l’aire, le pauvre gallinacé était attaché au poteau du manège ; là, il subissait une volée de coups de « gitello »3 jusqu’à ce que mort s’en suive. Le public scandait la litanie suivante :

Avèn tua lou gau !
Ô grand Sant-Jan,
Fai veni l’an seguènt
Em’ encaro mai de gran,
Lou bouan pres fa faren
Bouan Sant-Jan ti preguèn.

Nous avons tué le coq
Ô grand Saint-Jean,
Fais venir l’an suivant
Avec encore plus de grains
Le bon travail nous le ferons.
Bon Saint-Jean, on te prie.

En conclusion, l’expression « Avèn tua lou gau » (nous avons tué le coq) signifiait la fin des moissons. Elle s’est par la suite généralisée à chaque fin de récoltes, autres que celles des céréales : vendanges, ramassage des châtaignes, levage du liège, etc.
Lorsque les récoltes étaient terminées, le propriétaire offrait uno souido4 à ses employés, afin de les remercier. Après, avec la mécanisation des récoltes, cette tradition s’est peu à peu perdue dans le temps.


Dans un almanach provençal de 1872, Frédéric Mistral relate une légende assez similaire, disant à peu près ceci :
« Jésus avait prédit les trois reniements de saint Pierre envers lui, la veille de la Passion. Ses prédictions s’avérèrent exactes et le coq chanta alors trois fois afin de dénoncer les reniements de saint Pierre. Voulant se venger, le saint arracha la crête du coq avec ses mains. Ce serait à partir de là que les coqs ont leur crête dentelée. »

Au cours d’une assemblée félibréenne, j’avais eu l’occasion de rencontrer un membre de notre association qui m’avait confirmé que cette tradition « dóu gau » de « Sant-Jan » était également célébrée dans d’autres lieux de Provence. Je regrette de ne pas avoir insisté pour avoir plus de renseignements sur ce sujet. On peut toutefois espérer que des recherches sont encore possibles, par exemple, par voies informatiques.
D’autres traditions de la Saint-Jean, moins cruelles que la mort du coq, sont encore conservées de nos jours, par exemple :

– La fabrication du vin de noix, appelé en provençal « vin de nose ». A la Saint-Jean, on récolte des noix non mûries et on les met à macérer dans du vin rouge ou rosé, on ajoute du sucre et de l’alcool. Cela donne un apéritif encore apprécié de nos jours.

– On cueille le millepertuis « erbo de Sant-Jan » : On le met à mariner dans de l’huile d’olive ; on obtient ainsi un onguent appelé « huile rouge ou casso diable »5 . Il guérit les brûlures et diverses affections épidermiques.

– L’ail de l’ours, excellent ingrédient culinaire est récolté à la Saint-Jean.

L’ail nouveau est également de la fête. Nos anciens en jetaient dans le grand feu du soir de Saint-Jean pour se prémunir des épidémies et des mauvais sorts… Les parents des jeunes célibataires faisaient ces gestes en disant : « bouan sant Jan aparèio bèn lei garbo aquest an ». Ceci était une métaphore qui signifiait à peu près : « Bon saint Jean, fais que nos garçons (ou filles) trouvent dans l’année une union heureuse, harmonieuse, avec, chose très importante, l’apport de riches dots en cadeau de mariage ». Un proverbe disait : « Calignàgi de Sant-Jan d’estièu = Fiançaio pèr Sant-Jan d’ivèr »6. Le grand feu était dressé généralement sur l’aire de dépiquage, les garçons et les filles désireux de s’unir, sautaient au-dessus des flammes en se tenant par la main et en disant la phrase : « Grand Sant-Jan, fai que si mariden dins l’an »7.


Nos anciens disaient également : « Sant-Jan d’estièu fèsto de l’aigo e dóu fièu »8 . C’était, en principe le jour où les bergers et leurs les troupeaux partaient pour la transhumance d’été. Les clochettes des brebis et des béliers ainsi que celles des boucs, les grelots des chiens et leurs aboiements, les sifflements des bergers mêlés aux claquements de leurs fouets faisaient un boucan infernal dans les rues du village. Néanmoins, personnes ne s’en plaignait, bien au contraire, car ce défilé avait le caractère des jours de fêtes et restait familier à notre vie rurale.

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1. Patron fermier.
2. Débordement de joie, de passion.
3. Surgeon de châtaignier servant de badine.
4. Banquet célébrant une fin de récolte.
5. Chasse diable.    
6. Flirt de Saint-Jean d’été = fiançailles pour Saint-Jean d’hiver.
7. Saint Jean fait que nous nous mariions dans l’année.
8. Saint-Jean d’été fait de l’eau et du feu.

Fèsto de la Sant-Jan à La Gàrdi avans lou siècle vinten

La fèsto de la St-Jan èro celebrado coume dins tóutei lei relarg lou 24 de Jun. Marcavo lou soulstice d’estiéu e l’acabado dei meissoun. Si dihié fèsto dóu « Grand Sant-Jan » vo dóu « Jan lou meissounié » e tambèn « Jan d’estiéu » per fin de pas s’engana emé lou « Sant Jan l’aposto » apela tambèn lou « St-Jan d’ivèr » dóu 27 de desèmbre. D’efèt, lou 24 de jun èro tout simplamen lou jour de Sant Jan-Batisto, marca dins lou calendié liturgi. Coume dins lou toutun prouvençau aquelo fèsto dounè liò à noumbróusei celebracien tradiciounalo, emé quàuquei varianto proun especifico seguènt leis endré. Bonadi quàuqueis endico qu’ai pouscu recampa dins ma primo jouvènço encò deis àvi, ai particulieramen retèngu uno tradicien « pas lausable » qu’èro engimbrado dins nouastre vilàgi à-de- rèng lei fèstajado de St-Jan. Aquéu jour un bastidan (designa d’esperéu ?) duvié faire presènt dóu plus bèu gau de soun galinié. D’efèt lou paure animau èro baia en oufrèndo (en qu ? … es pas eisa de lou dire encuei)  bord qu’en aquélei tèms ancestrau lei cresènço èron proun escabissouso dins lei relarg rurau, ounte l’estrucien publico sichè pas encaro bèn espandido. Lei cresènço dei gènt èron apielado sus uno mescladisso de religien crestiano e de supersticien. Tambèn es poussible qu’aquelo tradicien aurié pres soun sourgènt ei tèms dóu pagano-crestianisme.

        Lou gau èro carreja enjusqu’à l’iero de batesoun, embarra dins uno gabiolo quihado sus uno carreto ramado, seguido dei musicaire e deis estajan que fahien fouaço estrambord. Un còup arriba sus l’iero à gran, lou paure gau èro estaco au mast  dóu viro-viro. Aqui si prenié uno voulado de còup de gitello fin que faguèsse sei darrié badau. Lei gènt martelavon  lei mot d’uno letanìo seguènto :

« Avèn tua lou gau ! Ô grand St-Jan, fai veni l’an seguènt, Em’encaro mai de gran. Lou bouan pres-fa lou faren, bouan St-Jan ti preguèn. »

        Fin finalo, l’espressien « Avèn tua lou gau » significavo que lei meissoun èron acabado,  en seguido, s’es espandido pèr tóutei lei recloto talo que leis endùmi, lei castagno, lou levàgi de la rusco etc. Quouro lei recloto èron acabado lou prouprietàri óufrié uno souido à sei colo d’emplega pèr fin de lei gramacia. Quouro la mecanisacien dei recloto es arribado aquelo tradicien s’es esvartado d’à cha pau. Dins un armana prouvençau de 1872, Frederi Mistral retipo uno legèndo proun similàri :

Aquelo dis que Jésus avié predi lei tres renegamen de st-Peire à la vèio de la passien. Sei predicien si capitèron eisato e lou gau cantè alor tres còup pèr fin de lou faire saché. Pèr si venja d’aquelo escorno, st-Peire derrabè la crèsto dóu galinacé ‘mé sei det. Serié qu’à parti d’aquèu jour que tóutei lei gau dóu mounde an lei crèsto dentelado.

        À l’asard d’un rescontre felibren, ai agu l’escasènço de rescountra un sòci que m’a afourti qu’aquelo tradicien du gau de St-Jan avié tambèn astado celebrado dins d’àutrei relarg de Prouvènço.

        D’àutrei tradicien, bono-di mens crudèlo, an vuei encaro perdura. Pèr eisèmple :

– La fabricacien dóu vin de nose. A la St-Jan fau culi de nose noun maduro e lei faire macera dins de vin rouge vo rousen, en acò fau li apoundre d’aigo-ardènt emé de sucre. Aquelo préparacien si fa dins uno damo-jano messo en seguido dins la croto la crote à-de-rèng de mes e mume d’annado. Es segur qu’acò vous fa un aperitiéu requist, bèn presa dei prouvençau.

– Si cueio tambèn lou trescalan (millepertuis) que si di erbo de St-Jan que fau faire macera dins uno boutiho d’òli d’óulivo, acò s’apelo « Òli rouge » vo encaro « Casse diable ». Èro uno poutingo de trìo, que sougnè dei bruladure e mànteis lesien de la pèu. 

– L’ai fèr (ail de l’ours) que s’enmenestre dins lei sausso culinàri pèr li douna bouan goust, duou si culi à la St-Jan.

L’aiet nouvèu èro tambèn de la fèsto. Nouàstreis aujòu n’en mandavon dins lou grand fue festiéu dóu souar, pèr fin de s’apara deis epidemio e dei marrit sort. Lei parènt dei jouvènt celibatàri, fahien tambèn aquéu gèste en diguènt : « Bouan St-Jan apareio bèn lei garbo aquest an ». Acò èro uno metaforo que voulié dire « Bon st-Jean fait que nos filles et garçons fassent dans l’année un mariage heureux et harmonieux, avec l’apport de riches dots » . Un prouvèrbi dihié « calignàri de St-Jan d’estiéu, fiançaio pèr St-Jan d’iver ».

        Lou grand fue èro atuba sus l’iero à gran, aqui, garçoun e fiho que s’agradavon sautavon man dins la man e gai coume de cabri au-dessus dei flamo en faguènt lou vot de si marida dins l’an.

        Autre prouvèrbi d’aquéu jour : « St-Jan  d’estiéu, fèsto de l’aigo ‘mé dóu fue ».

        Èro tambèn lou jour ounte lei pastre emé sei rai d’avé, partien pèr l’amountagnàgi  d’estivo. Clarino dei fedo, redoun deis aret e dei menoun, cascavèu e japado dei chin, siblamen dei pastre e tambèn dei clacamen de sei fouit, fahié un chafaret d’infer dins lei carriero dóu villàgi. Pamens, degun s’en plagné, bèn au countràri, aquéu passo-carriero avié lou caratèro dei jour fastenau e famihié de nouastro vido vidanto.                                                                                                      

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