Préludes d’une insurrection populaire

Avril 2017 • par Gérard ROCCHIA, historien local

Chronique historiqueHistoire locale

Au milieu du XIXe siècle, la vitalité de La Garde-Freinet atteint son apogée grâce, notamment, au développement de l’industrie bouchonnière. Cette dernière nécessite une importante main-d’œuvre qui arrive de tous les horizons et brasse les courants d’idées les plus divers. Les patrons bouchonniers règnent alors en maître sur cette population la plupart du temps peu éduquée. Pourtant, par instinct de survie, ces gens du peuple apprennent vite à s’organiser pour faire valoir leur droit. L’année 1836 est déterminante dans cet apprentissage. Les principaux manufacturiers ayant décidé de baisser le prix pour mille bouchons, référence de base, les ouvriers leur opposent une grève tournante. La réponse est immédiate et cinglante par l’embauche d’ouvriers étrangers à la commune.

La justice tranche et ramène un semblant de paix sociale, mais il est trop tard, la fracture est ouverte et elle ne se refermera qu’avec la défaite des ouvriers lors des événements de décembre 1851 contre le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte. Entre ce début et cette fin, les choses évoluent avec, à son paroxysme, la création d’une coopérative ouvrière bouchonnière, dont la fermeture provoque une émeute qui faillit se terminer dans un bain de sang. De Jacques Mathieu et Adrien Pons au préfet Haussmann.

Trois hommes ont fortement marqué de leur empreinte ces quinze années de lutte sans merci. Le premier : Jacques Mathieu, fils d’un patron bouchonnier, consacre sa vie à la défense du monde ouvrier local et finit ses jours en exil à Genève. Quelques années plus tard, il est rejoint par Adrien Pons, pharmacien arrivé d’Algérie, qui met également son intelligence au profit de la cause ouvrière. Enfin, juste avant la chute finale, le préfet Haussmann qui, en quelque mois de règne sans partage, laisse derrière lui un amas de ruine et une population au bord de l’explosion.
Il est clair qu’en ces années de lutte, l’entente entre patrons et ouvriers est devenue impossible, trop d’espoir, de trahison et de rancœur. L’espoir est né de la création d’une coopérative ouvrière qui, trop prospère, concurrence les patrons ; la trahison est conduite par une administration tatillonne qui trouve tous les prétextes à sa fermeture ; la rancœur, pour une justice injuste qui décapite les dernières illusions d’un monde meilleur pour les ouvriers. Déjà, le village de La Garde-Freinet s’était illustré par des actions contraires aux bonnes mœurs de l’époque, mais la tension est à son comble, quand la population en colère fait sauter les scellés que le commissaire de police avait apposés sur les locaux de la coopérative pour empêcher toute incursion, menaçant au passage de mort ledit commissaire. C’en était trop ! Le bon droit par la force.

Le préfet réunit en situation de crise l’armée et la justice. Mission est donnée au substitut, Léon Niepce, de marcher sur le village pour arrêter les meneurs. Il est soutenu par une compagnie du 50e de ligne renforcée par vingt gendarmes à cheval, avec ordre d’éviter toute effusion de sang ; le préfet craint le pire et ne le cache pas au substitut. Ce dernier le souligne dans son rapport : « je crus devoir réunir tous les officiers de l’expédition et m’entendre avec eux sur tous nos faits et gestes pendant la journée qui allait s’ouvrir pour nous et qui pouvait être remplie d’événements graves. Nous allions, en effet, avoir à faire à une population soulevée, animée du plus mauvais esprit, gangrénée par le socialisme, corrompue par la débauche, paresseuse à l’excès, et qui avait sans cesse maille à partir avec la justice. Cette population venait de se livrer, la veille, à tous les excès. Elle avait cru pouvoir impunément s’insurger contre les ordres du préfet, briser les scellés apposés sur un local où, sous prétexte d’une association ouvrière, on avait formé un club des plus dangereux, battre commissaire de police et insulter les gendarmes. Il fallait donc prévoir toutes les éventualités de la journée, se faire un plan à suivre et adopter des mesures aussi promptes qu’énergiques. »
Le premier contact est tendu : « (…) la colonne serra les rangs, les tambours battirent la marche et, à huit heures sonnant, nous pénétrâmes dans le bourg (…). La plupart des hommes portaient des cravates rouges, ils se tenaient fièrement les bras croisés, dans une attitude dédaigneuse, menaçante même (…). La colonne s’avança lentement opposant à la foule ce même dédain dont elle semblait la braver et prit position sur la place. »
Les leaders sont arrêtés provoquant une colère incontrôlée : « (…) la foule compris enfin mes mouvements, elle se rue sur nous pour nous arracher nos proies et bientôt nous sommes enveloppés de toutes parts par des bandes d’hommes et de femmes au paroxysme de la fureur (…). La cavalerie se débat en vain au milieu de ces flots de population d’où partent des hurlements étranges et des cris de douleurs poussés par les femmes au milieu desquelles piétinent les chevaux (…). »

Force restera à la loi. Nous sommes en novembre 1851, quelques jours plus tard, éclate l’insurrection contre le coup d’État du 2 décembre qui met fin à tout espoir et à toute velléité pour ces ouvriers qui ont cru un peu trop vite qu’ils pouvaient avoir droit au bonheur.

Pour aller plus loin :
– ROCCHIA Gérard : http://1851.fr/hommes/jacques_mathieu/
– ROCCHIA Gérard : http://1851.fr/publications/bouchonniers/
– AGULHON Maurice, La République au village, Paris, Seuil, 1979.
– MERLE René, La Garde-Freinet et l’insurrection de 1851, 2005, http://www.rene-merle.com/article.php3? id_article=182
– GUILLON Jean-Marie, Villages varois entre deux Républiques, in La France démocratique. Mélanges offerts à Maurice Agulhon, sous la direction de Christophe Charles et alii, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, pp. 99-105.

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