Lorsque Zola débaptise La Garde-Freinet pour la rebaptiser « la Palud »

Août 2017 • par Gérard ROCCHIA, historien local

Chronique historiquePersonnage célèbre

Gallica – BNF, Ms,NAF 10303, f°2

« [Silvère] parlait orgueilleusement des gros poings de ses frères. Il continua, en voyant arriver derrière les bûcherons, une bande d’ouvriers et d’hommes aux barbes rudes, brûlés par le soleil :
– Le contingent de la Palud. C’est le premier bourg qui s’est mis en insurrection. Les hommes en blouse sont des ouvriers qui travaillent les chênes-lièges ; les autres, les hommes aux vestes de velours, doivent être des chasseurs et des charbonniers (…). La colonne, qui venait de recommencer la Marseillaise, descendait toujours, comme fouettée par les souffles âpres du mistral. Aux gens de la Palud avait succédé une autre troupe d’ouvriers
(…). »

C’est ainsi qu’Emile Zola raconte dans le premier tome de sa célèbre saga des Rougon-Macquart, « La fortune des Rougon », le départ des ouvriers bouchonniers et autres corporations depuis le village de La Garde-Freinet pour rejoindre la colonne des insurgés varois opposés au coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851. Pour relater ces faits, il s’inspire d’un témoignage recueilli par Eugène Ténot : « La colonne de la Garde-Freynet avait un aspect redoutable. Elle était formée d’ouvriers en liège, de paysans, bûcherons, charbonniers et chasseurs des forêts des Maures (…). Ils formaient le plus solide noyau de l’insurrection. Avec eux marchait une autre colonne venue de Saint-Tropez, Grimaud, Cogolin, Gassin, etc. (…). »1

Mais pourquoi Zola a-t-il choisi cette insurrection varoise pour en faire le départ de cette grande fresque littéraire de vingt volumes ? Il découvre, en 1868, le témoignage d’Eugène Ténot que conforte l’année suivante celui de Noël Blache2. Il est à la fois subjugué et conquis par cette fabuleuse épopée, dont il décide de s’inspirer pour son œuvre. Il va utiliser ces sources jusqu’au menu détail, mais en se réservant de grandes libertés, notamment en changeant les noms des lieux et des personnages. Il précise à ce sujet : « Je plierai le cadre historique à ma fantaisie, mais tous les faits que je grouperai seront pris dans l’histoire (livres, journaux de l’époque, etc.). Je prendrai à la très curieuse insurrection du Var les détails les plus caractéristiques et je m’en servirai selon les besoins de mon récit3. » Pour rester le plus fidèle possible à cet engagement, il va aller jusqu’à reconstituer par un dessin la marche des insurgés jusqu’à Aups, changeant scrupuleusement le nom des villages4.

En reprenant le texte de Ténot, Zola commence sa transformation littéraire : « Cependant, les colonnes du Luc (= Saint-Martin-de-Vaulx) et de La Garde-Freinet (= La Palud) avaient décidé, après beaucoup d’hésitation et de temps perdu, qu’elles marcheraient sur Draguignan (= Noiron). Elles firent leur jonction à Vidauban (= Alboise), au milieu d’un enthousiasme et aussi d’un désordre extraordinaire. » Mais là ne s’arrête pas la relation avec La Garde-Freinet. Les insurgés avaient emmené avec eux des otages dont un fut abattu, en pleine bataille et par erreur, suite aux tirs des soldats. Il s’agissait du receveur des postes, Monsieur Panescorce, qui, paniqué, avait quitté la pièce où il était tenu prisonnier pour se précipiter par la fenêtre vers ces derniers. Zola reprend très en détail cette tragédie, en remplaçant le receveur de La Garde-Freinet par Monsieur Peirotte, receveur particulier : « Mais la troupe n’entendait pas, elle tirait toujours. On vit, à un moment, le commandant Sicardot, exaspéré, paraître sur le seuil, parler en agitant les bras. A côté de lui, le receveur particulier, M. Peirotte, montra sa taille mince, son visage effaré. Il y eu encore une décharge. Et M. Peirotte tomba par terre, le nez en avant, comme une masse.« 
Dernier détail intéressant, en décembre 1851, officiaient dans le village deux médecins, l’un s’occupait des riches, le second des pauvres. Ce dernier, le docteur Martel, était le gendre de Georges Mathieu, riche industriel bouchonnier et le beau-frère de Jacques Mathieu, qui consacra son temps à défendre les ouvriers avant d’être élu maire puis destitué par le préfet Haussmann5. Martel, en partant avec la colonne, en était devenu le médecin. Zola reprend ce philanthrope sous les traits du docteur Pascal, l’un des personnages centraux des Rougon-Macquart. On le retrouve notamment au moment de la défaite d’Aups et bien sûr dans le vingtième et dernier tome : « Le docteur Pascal« .

C’est ainsi que le village de La Garde-Freinet a participé activement à l’un des événements majeurs de l’histoire du Var, source d’inspiration d’une œuvre majeure de la littérature française. Un destin rendu toutefois anonyme par les changements voulu par son auteur : Emile ZOLA.

SOURCES :
Les Rougon-Macquart, à lire ou relire en ligne ou sur papier.
(1) TENOT Eugène, La province en décembre 1851. Etude historique sur le coup d’état, Paris, éditions Le chevalier, 1868.
(2) BLACHE Noël, Histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851, Paris, éditions Le chevalier, 1869.
(3) B.N.F., Ms, NAF 10303, f°38.
(4) B.N.F., Ms, NAF 10303, f°2 : La marche des insurgés.
(5) AGULHON Maurice, La République au village, Paris, Seuil, 1979.
– ROCCHIA Gérard, L’histoire oubliée.
– ROCCHIA Gérard, « Jacques Mathieu : De l’idée républicaine à l’émancipation féminine » : http://1851.fr/hommes/jacques_mathieu/

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